"Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui regardent et laissent faire !" Albert Einstein

Ces ordis qui lisent sur les visages


Le doctorant fribourgeois Gabriel Cuendet analyse la morphologie des visages grâce à deux caméras et recense ainsi environ 200 points spécifiques disséminés à des endroits bien précis entre le front et le haut du cou, de face et de profil. © CHUV/EPFL



Des chercheurs de l’EPFL travaillent sur le décryptage des expressions du visage. Marketing, médecine ou détection de la fatigue au volant, les applications sont nombreuses.

Notre visage révèle de nous bien plus qu’on ne le voudrait. A autrui, il expose nos joies, nos peines, nos peurs, lisibles comme les pages d’un livre ouvert. Un livre que, désormais, les ordinateurs sont aussi capables de décrypter. C’est même l’un des thèmes de prédilection du Laboratoire de traitement des signaux 5 (LTS5) de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), dirigé par le professeur Jean-Philippe Thiran, Fribourgeois d’origine belge. Les applications sont multiples.

1 Détection de la fatigue au volant

Etudiante de master à l’EPFL, Marina Zimmermann vient tout juste de terminer un travail de diplôme qui rend possible la détection des premiers signes d’un assoupissement au volant. Un projet d’ailleurs réalisé en partenariat avec le groupe PSA Peugeot Citroën, intéressé à équiper ses futurs véhicules d’une telle technologie. «Beaucoup de chercheurs travaillent sur la détection de la fatigue, avec diverses méthodes, comme identifier le fait que le véhicule zigzague ou traverse la ligne blanche. Nous, nous ne nous concentrons pas sur le véhicule, mais sur le conducteur», souligne le professeur Jean-Philippe Thiran.

Ainsi, une petite caméra dirigée sur le conducteur peut, grâce à un système de détection du visage basé sur un puissant algorithme, mesurer le pourcentage de temps durant lequel les paupières recouvrent entièrement ou en grande partie les pupilles. Et lancer l’alerte si celui-ci est trop élevé. Mais l’innovation ne s’arrête pas là. «A terme, le but serait, à travers une seule caméra et un seul système d’éclairage, de doter les voitures de plusieurs fonctionnalités basées sur le regard», ajoute Jean-Philippe Thiran.

2 Les yeux à la place de la souris

Doctorant en génie électrique au sein du LTS5, Murat Arar travaille quant à lui sur un projet de suivi du regard. Le but: utiliser une analyse très précise du mouvement des yeux de l’utilisateur pour améliorer l’interaction homme-ordinateur. «L’idée serait de pouvoir complémenter ou, pourquoi pas, remplacer la souris», résume Murat Arar. Pour cela, le jeune chercheur utilise des diodes électroluminescentes infrarouges (les fameuses LED) placées autour de son écran d’ordinateur et, au centre, une petite caméra. «La caméra repère la position de la pupille pour voir dans quelle direction est dirigé le regard», ajoute Murat Arar. Les LED garantissent un éclairage invisible pour l’utilisateur mais permettent de détecter les yeux avec une luminosité toujours égale, et cela qu’il pleuve, qu’il y ait du soleil ou qu’il fasse nuit.

3 Une aide pour les anesthésistes

L’analyse faciale peut également avoir des débouchés dans le domaine médical. Comme cette idée née dans la tête des anesthésistes du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et sur laquelle travaille le Fribourgeois Gabriel Cuendet, actuellement en première année de doctorat: utiliser l’informatique pour déceler les intubations potentiellement difficiles. En effet, une fois endormi, un patient ne peut plus respirer par ses propres moyens.

Raison pour laquelle les anesthésistes placent dans la trachée des patients une sonde leur permettant d’être correctement alimentés en oxygène. «La laryngoscopie consiste à placer dans la bouche du patient une lame de métal qui va pousser la langue vers le haut afin de bien distinguer les cordes vocales et de placer le tube correctement.

«Mais, parfois, ce n’est pas aussi simple. Certaines intubations posent problème. Cela peut dépendre de la morphologie du patient ou encore de la mobilité de sa nuque ou de sa mâchoire», explique Gabriel Cuendet.

Des alternatives à la laryngoscopie existent, bien sûr. Mais, plus chères et moins rapides, elles ne peuvent être appliquées d’office. D’où l’importance de pouvoir identifier à l’avance les patients qui pourraient en avoir besoin. Pour cela, Gabriel Cuendet analyse la morphologie des visages grâce à deux caméras et recense ainsi environ 200 points spécifiques disséminés à des endroits bien précis entre le front et le haut du cou, de face et de profil. «Par exemple, cela nous permet de quantifier la surface d’ouverture de la bouche», précise-t-il.

Au CHUV et à l’Hôpital de Morges, où cette technologie est déjà testée depuis une année, les visages de 2000 patients ont ainsi déjà été analysés. Dont une septantaine de cas se révélant à risques. «Durant cette phase de test, nous récoltons des données qui nous permettent de définir avec précision quels sont exactement les critères qui déterminent si une personne doit être considérée comme à risques ou non», conclut Gabriel Cuendet.

4 Sonder les émotions des consommateurs

Enfin, l’analyse des visages peut s’avérer très utile dans le cadre d’études de marketing. C’est le domaine de recherche de Matteo Sorci, postdoctorant au LTS5. Celui-ci est parti des travaux du psychologue Paul Ekman qui, en 1972, a listé les six émotions de base que peut exprimer l’être humain: la tristesse, la joie, la colère, la peur, le dégoût et la surprise. «Sauf que ces émotions ne sont pas universelles. Certes, toutes les cultures, partout dans le monde, éprouvent la joie, la tristesse, la peur. Mais elles ne l’expriment pas de la même manière. En plus, il arrive que plusieurs émotions se mêlent entre elles», explique Matteo Sorci. Il a donc collecté le plus de données possible afin de pouvoir identifier une émotion chez un Suisse, un Chinois, un Américain. Fort de cette modélisation, Matteo Sorci peut analyser les réactions de gens situés partout dans le monde en analysant les mouvement des muscles du visage. Surtout qu’il suffit d’une webcam pour utiliser le logiciel qu’il a développé. Matteo Sorci commercialise ce service par le biais de nViso, une start-up créée en 2009 et basée à l’EPFL. I

Nicolas Maradan